... Il y aura les messages apportant l'espoir à une famille inquiète, comme le 31 janvier 1941 : « Un officier supérieur, natif du pays basque et habitant Calais, quartier du Sacré Coeur, blessé au camp retranché de Dunkerque ... » ; et ceux laissant filtrer le désespoir : « Capitaine Georges Victor, je suis né le 6 octobre, je n'ai pas vu mes parents depuis janvier 1940 ». Il y aura des centaines, des milliers de messages de volontaires des Forces Françaises Libres qui, ne pouvant pas s'éloigner du poste où ils servaient, priaient la B.B.C. de dire, en leur nom, quelques mots à ceux qui leur étaient chers. Il y aura des « Jean pense à Monique », des « Bernard, né le 7 mai 1920 près de Bordeaux est en bonne santé », des « Alphonse dit Ponson est en Angleterre ... » C'est au travers de ces messages familiaux diffusés régulièrement par la B.B.C. que vont s'insérer ce que l'on appelera les « messages personnels » et en anglais les « messages codés ». L'Histoire veut que Georges Bégué en soit l'inventeur et le premier message de ce genre « Lisette va bien ». Marié à une Anglaise, Georges Bégué la trentaine, caporal de réserve, a été mobilisé en septembre 1939 et envoyé à l'état-major du secteur défensif d'Altkirch, en Alsace, section transmissions car il est opérateur radio. L'hiver de la « drôle de guerre » lui a paru long et son insistance à demander une mutation dans un endroit où il pourrait mieux utiliser ses talents lui a permis d'être affecté, en mars 1940, comme officier de liaison auprès de la 44ème division britannique au Mans. C'est à peine s'il a eu le temps de combattre quand les Allemands ont déferlé sur la France. Marchant vers l'ennemi dans un premier temps puis fuyant devant, il s'est retrouvé à Dunkerque où il a embarqué le 31 mai pour l'Angleterre. L'hôpital, une permission pour retrouver sa femme et sa fille à Hull, Londres, de Gaulle et son appel. Bégué se rend à St Stephens House, le Q.G. des Français libres. Il voit le général qui l'envoie à un colonel. Mais le colonel est absent et c'est un sous-officier en train de dresser des listes qui le reçoit. Sa désillusion est profonde. Il reconnaît des adjudants qui se proclament capitaine, qui s'intitulent chef de ceci ou de cela. Il retrouve des officiers de la mission de liaison qui, la veille encore, l'adjuraient de renoncer à son projet : « De Gaulle est un dissident, disaient-ils. N'oubliez-pas qu'un jour il sera désavoué, il ne cherche qu'à se donner de l'importance. Ne vous approchez pas de lui ... ». Cette course à l'avancement Bégué ne la supporte pas. Il veut de la compétence, de l'autorité, des moyens, tout ce qui a manqué pendant la campagne de France. A première vue, rien chez les hommes qui entourent le général ne lui permet d'espérer : il ne sont pas à la hauteur du Chef. Bégué poursuit ses recherches. Il lui faut se décider : regagner la France, comme la plupart des soldats qui ont, avec lui, embarqué à Dunkerque ? Rejoindre les Français libres ? il refait une tentative, mais son impression n'est toujours pas bonne ; restent les Anglais. Fin juillet, début août 1940, Bégué s'addresse don, avec quelques-uns de ses camarades des missions de liaisons au ministère de la Guerre britannique. La petite délégation, commandant Folkeu, capitaines Siriex, Boileau, lieutenants Murat et Popoff, une trentaine d'hommes au total, est reçue par un officier au Great Central Hotel près de Marylebone. Ils demandent à s'engager. On leur répond que cela paraît possible sous réserve d'approbation du Parlement. C'est l'attente. On leur a donné une chambre à l'hôtel, on leur sert une petite solde. Cela dure un peu plus d'une semaine. Le 13 août, Georges Bégué est enfin emmené dans un centre de recrutement et autorisé à signer un acte d'engagement. On l'envoie à Catterick Camp près de Darvington pour lui apprendre l'utilisation d'un central téléphonique. Bégué désespéré, envisage de demander une autre affectation : la R.A.F. peut-être. Début janvier il est convoqué à Londres et deux officiers des services secrets anglais lui demandent s'il veut être envoyé en mission en France. Il accepte. Il lui fait suivre un entraînement radio puis un entraînement parachutiste. Dans la nuit du 5 au 6 mai 1941 il est largué avec un poste émetteur dans la région de Varan entre Vierzon et Chateauroux, premier envoyé du « S.O.E. F section ».
« Bégué s'est vite rendu compte, écrivent Henri Noguères, Marcel Dagliame Fouché et Jean-Louis Vigier
dans leur Histoire de la Résistance en France, des difficultés auxquelles vont se heurter les
opérateurs radios que ne disposent que d'un très petit nombre de canaux et ne peuvent, pour des raisons
de sécurité prolonger outre mesure leurs "vacations" avec Londres. Pourquoi, s'est demandé Bégué ne pas
se servir des puissants émetteurs de la B.B.C. qui sont partout entendus ? L'idée était excellente. Les
modalités d'application on été minutieusement mises au point et c'est en septembre que passera enfin sur
l'antenne le premier de ces "messages personnels" qui, par la suite, seront certains soirs si nombreux. Le
texte du premier message sera "Lisette va bien" et sa diffusion annoncera à Bégué une opération aérienne ». |