Par Georges Bégué
Membre de la Résistance, premier opérateur radio parachuté en France
Georges Bégué est né à Périgueux.
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Il y a maintenant 30 ans...
Pour nos jeunes, lorsque ceux qui les vécurent ne pourront plus leur en conter les plus marquants détails, l'histoire de notre pays décrira les sombres années de 1940 à 1944. Juin 1940. "La France a perdu une bataille...". L'ignoble Montoire ajoute sa honte au dépit cinglant de Retondes. On nous assure que nous sommes battus, que la patrie des hommes de Verdun peut capituler dans l'honneur. Sur le pays s'étend une ombre. Penser, autant que respirer, est devenu pénible. Et pour certains, pense sensément est simplement impossible sans une lueur d'espoir. "... Mais elle n'a pas perdu la guerre!" Dans l'ombre, des mains se cherchent. Des petits groupes se réunissent. On parle à voix basse. Mais une poignée d'hommes, ici et là, sans moyens, ne peut guère agir là où une armée serait nécessaire. De l'intérieur, des appels à peine audibles - ils font penser aux coups venant d'une équipe de mineurs en péril - parviennent à ceux de nous demeurés sous les armes, donc libres, à l'extérieur. Entre ceux-ci et ceux-là, il devenait vital qu'un lien se tisse. Mars 1941. A Londres, déjà, par des votes forcément détournés, plusieurs de ces appels étaient parvenus. L'un d'eux, tout aussi discret, aussi fervent bien sûr, mais plus impatiemment attendu parce qu'il était plus précis, plus complet, plus ferme aussi, de l'opinion de ceux qui le recevaient. En un mot, plus sommatoire! A Valençay, Max Hymans attendait... Lune de mai 1941. Un Whitley me lâche doucement dans un sillon de terre berrichonne. Le lendemain, je frappe à la porte du jardin attenant à la maison du maire de Valençay. Assis à son bureau, Max Hymans écoute mon histoire. Durant plusieurs minutes, c'est surtout moi qui parle. Sagement, mon hôte feint la surprise amusée: "Intéressante votre histoire, mais au fond, qui me prouve que vous arrivez de Londres? - ... Eh bien ... mon parachute enterré près de Vatan... - Des parachutes, on en a vus plusieurs ces derniers mois..." Et ainsi de suite pendant plusieurs autres minutes, longues pour moi. Le comique de la situation est que nous nous méfions réciproquement l'un de l'autre. Je sois moi-même m'assurer du fait que c'est bien à Max Hymans, ancien député, auteur du message, et Français cent pour cent, que parle. Heureusement, mon "briefing", avant mon départ, a été complet sur ce point et, pour mon compte, je sais maintenant à qui je parle : Hymans, Max, paraît trente-cinq ans, cheveux et sourcils noirs, le ton de la voix cendré parfois, mais qui éclate soudain. Centralien, tour à tour enthousiaste puis sceptique. Remarques d'apparence juvénile immédiatement suivies des arguments les plus portants, les plus justes, irréfutables parce que dénués du moindre orgueil, dépouillés d'intérêt personnel. Ma vérification d'identité terminée, je n'ai plus qu'à mettre cartes sur table. Je récite à Max Hymans la réponse de Londres à son message du début d'année. Enfin, c'est à son tour de laisser tomber le masque et de me poser mille questions. Je lui apporte un réponse, des renseignements frais, des instructions, mais aussi un dilemne : "Mais... les Anglais, comprennent-ils que?... Et le Général?..." Il veut tout savoir. |
Nous causons tard cette nuit-là. Nous aurons beaucoup à faire dès le matin. Grâce à son appui, à son conseil avisé aussi, notre travail démarre en flèche. Trois jours après, le contact par code avec Londres est établi. Le "réseau" se monte. La semaine qui suit, Lucas "descend" à Loches, contacte son frère Lionel à Limoges, puis file sur Paris. Les message chiffrés échangés avec Londres se font plus longs, plus nombreux. La R. A. F. prépare plusieurs opérations. Max (pseudo Frédéric) et moi allons reconnaître plusieurs terrains possible, qu'il connait déjà comme s'il était chez lui. Août 1941. Nous sommes prêts. Trois nuits de suite, nous montons la garde en bordure d'un terrain isolé. Mais le temps est inclément. Rien ne se passe. Deux lunes plus tard, nous mettrons en usage les "messages personnels" de la B. B. C. Septembre. La météo est bonne. Coup sur coup, c'est Issoudun (le premier "Lysander" qui dépose Morel et emporte de Guelis), puis Tendu, tout près d'Argenton-sur-Creuse. (Deux "sticks" de trois hommes). Cette réussite nous énivre un peu, et nous effraie. Tout ceci a déjà fait trop de bruit autour de Châteauroux. Assis dans un fourré en lisière d'un nouveau terrain, Frédéric et moi méditons en attendant que son gazo reprenne souffle. Il va falloir décentraliser, former des équipes qui permettront d'opérer plus au large. Sages résolutions, qui viennent trop tard, hélas. Fin septembre. Max Hymans apprend qu'une de mes "boîtes aux lettres" vient de sauter avec l'arrestation de Fleuret. Sans souci pour sa propre sécurité, il me fait prévenir aussitôt. Je peux prendre le large à temps, mais un mois plus tard , c'est la souricière de Marseille. Sa demeure de Valençay constamment surveillée par la Sécurité, Max Hymans est contraint de vivre en exil. A Marseille, c'est un autre Frédéric qui sera appréhendé et tassé de questions. Finalement, l'inactivité lui pesant: il gagne l'Angleterre par l'Espagne et le purgatoire de Miranda. Trois mois après, ceux de Mauzac retraceront ses pas. Peu d'entre ceux qui firent équipe en 1941 connurent la libération de 1944. Et depuis, d'autres encore nous ont quittés. La nation, rendue à la paix, il n'oubliait jamais ceux qui servirent sans uniforme à son côté. Il s'inquiétait toujours d'eux, de leurs veuves et de leurs orphelins. Il tiendrait, je le sais, à ce que leurs noms figurent dans ces quelques lignes. Ceux de l'Indre : Chantraine, Boivin, Renan, Fleuret, Parpais, Rapoport, d'autres encore, car l'Indre suivit l'exemple et fonctionna jusqu'à la fin. A Valençay... alors que tout semblait perdu... Max Hymans attendait. Georges Bégué |